Dans la hotte des achats de Noël, les téléphones portables figurent en
bonne place. Sans que les consommateurs soient clairement avertis de
leur exposition aux radiofréquences de ces appareils et à leurs dangers
potentiels. Car les données fournies par les fabricants sont fondées sur
des tests effectués en laboratoire, selon des procédures très
différentes des conditions réelles d’utilisation des mobiles. C’est ce
que dénoncent aujourd’hui des militants « anti-ondes », qui y voient «
un scandale industriel et sanitaire » de même nature que le « dieselgate
».
Un « phonegate » donc ? Dans le cas présent, il ne s’agit pas
d’une tricherie au sens strict, mais plutôt d’un brouillage des
informations données aux usagers, à la faveur d’une réglementation
laxiste. Les enjeux sanitaires n’en sont pas moins importants.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé les radiofréquences
comme « peut-être cancérogènes pour l’homme ». Et l’Agence nationale de
sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
(Anses) a estimé, dans un rapport de juillet 2016, que ces ondes ont «
des effets possibles sur les fonctions cognitives et le bien-être » des
plus jeunes.
Le dossier est technique, ce qui contribue à son opacité.
L’exposition aux radiofréquences émises et reçues par un téléphone
portable est mesurée par le débit d’absorption spécifique (DAS), exprimé
en watts par kilogramme (W/kg). Il s’agit de la quantité d’énergie
absorbée, sous forme de chaleur, par les tissus biologiques. En Europe,
une réglementation de 1999 a fixé la valeur à ne pas dépasser à 2 W/kg
pour l’exposition de la tête et du tronc, et à 4 W/kg pour les membres.
Les fabricants respectent bien ces normes… du moins quand
l’appareil n’est pas placé au contact du corps. Pour faire certifier
leurs modèles, ils font en effet procéder à des essais en laboratoire.
L’exposition au niveau de la tête est évaluée, non sur des cobayes
humains, mais sur des mannequins remplis d’eau et de sucres. Pour le
corps, on se contente de cuves d’eau.
Or, si, pour les tests au niveau de la tête, la réglementation
impose que la mesure soit faite téléphone collé à l’oreille, pour ceux
au niveau du reste du corps, elle laisse les industriels libres de fixer
la distance à laquelle est placé l’appareil. Et de la choisir en sorte,
précisément, que la limite d’exposition ne soit pas dépassée.
Des notices d’utilisation floues
A l’exception des modèles les plus récents, pour lesquels la
distance lors des tests a été raccourcie, celle-ci était jusqu’ici
d’environ 15 mm, avec un maximum de 25 mm. Ces quelques millimètres font
toute la différence avec la vie réelle, dans laquelle le portable est
couramment porté dans la poche de chemise, de veste ou de pantalon, au
contact presque direct avec la peau. Rappelons que même quand
l’utilisateur ne téléphone pas, son mobile, lorsqu’il est en veille,
reste connecté et source de radiofréquences.
L’Agence nationale des fréquences (ANFR), l’établissement public
chargé du contrôle de ce secteur, a fait procéder à ses propres
évaluations, dans des laboratoires européens, sur un échantillon de 95
téléphones mobiles choisis dans différents points de vente entre début
2012 et fin 2014, et 71 autres sélectionnés au cours de l’année 2015. A
une distance du corps de 1,5 cm, aucun ne dépassait la limite de 2 W/kg.
Mais elle a fait réaliser de nouvelles mesures avec, cette fois,
l’appareil au contact du corps. Les résultats sont très différents. Ils
sont rapportés dans l’avis de juillet 2016 de l’Anses. En 2015, peut-on y
lire, « 89 % des téléphones mesurés au contact par l’ANFR présentaient
un DAS supérieur à 2 W/kg et 25 % un DAS supérieur à 4 W/kg ».
Quelques-uns atteignaient même 7 W/kg. Ces dépassements ne concernent
pas l’exposition de la tête, mais du reste du corps.
Les industriels font valoir que les notices d’utilisation de leurs
produits, de même que les informations accessibles en ligne ou sur le
smartphone lui-même, mentionnent bien que les tests ont été menés à une
certaine distance du corps et que celle-ci doit être respectée pour ne
pas dépasser les niveaux d’exposition certifiés. Encore faut-il scruter à
la loupe cette documentation pour le savoir. Au demeurant, l’ANFR a
constaté que « la notice d’utilisation
de 25 % des téléphones contrôlés présentant un DAS au contact du corps
supérieur à 2 W/kg n’indiquait pas de distance minimale d’utilisation ».
« Pas de portable pour les enfants »
Les résultats détaillés de cette contre-expertise n’ont pas été
divulgués. Ex-coordinateur national de l’association Priartem (Pour
rassembler, informer et agir sur les risques liés aux technologies
électromagnétiques), Marc Arazi, aujourd’hui « expert indépendant », a
vainement tenté de les obtenir. Il a saisi la Commission d’accès aux
documents administratifs (CADA), qui s’est déclarée « favorable » à la
communication des données de l’ANFR, avant le 29 décembre.
Interrogé par Le Monde, Gilles Brégant, directeur général de
l’établissement de contrôle, indique pourtant qu’il ne les rendra pas
publiques. Motif : « La loi interdit leur communication à des tiers, ces
données ayant été recueillies dans le cadre de procédures pouvant
donner lieu à des sanctions. » Sollicités directement, Apple et Samsung
n’ont pas souhaité faire de commentaire.
L’ANFR n’est pas restée pour autant sans réaction. Elle a, indique
son directeur, alerté les autorités françaises, qui se sont tournées
vers la Commission européenne. Celle-ci a pris, en avril, une décision
disposant que les tests de certification doivent être réalisés à une
distance du tronc « ne dépassant pas quelques millimètres ». Cette
formulation laisse encore une marge de manœuvre aux industriels, mais,
assure M. Brégant, « tous les appareils commercialisés depuis avril 2016
sont testés à 5 mm du corps ». Cette mesure tardive ne règle rien,
toutefois, pour tous les mobiles déjà en service. En France, 25 millions
de téléphones portables sont mis chaque année sur le marché.
Sans doute la question du danger des radiofréquences reste-t-elle
débattue. Mais pour Olivier Merckel, chargé des nouvelles technologies à
l’Anses, le surcroît d’exposition aux ondes, en usage courant, par
rapport aux niveaux affichés par les industriels, « doit faire l’objet
d’une attention particulière pour les enfants et les personnes porteuses
de dispositifs médicaux, comme des pacemakers [stimulateurs
cardiaques], dont le fonctionnement peut être perturbé par des champs
électriques, même faibles ».
Porte-parole de l’association Robin des toits, Etienne Cendrier
souligne que « le cerveau humain n’est pas fait d’eau et de sucre comme
les mannequins des tests ». Il ajoute que « les normes d’exposition,
outre qu’elles sont très hautes, ne prennent en compte que les effets
thermiques, à l’exclusion d’autres risques tels que de possibles cancers
». La présidente de Priartem, Janine Le Calvez, en tire pour sa part
une leçon radicale : « Pas de portable pour les enfants ! »
Inscription à :
Articles (Atom)